Particularités des jeux

Généralités

Il y a deux grandes familles de tuyaux ou plutôt d'émission sonore.

  • La première concerne les "jeux de fond", constitués de tuyaux "à bouche". Qu'ils soient faits de bois (basses) ou de métal, leur principe sonore est celui de la flûte à bec. Le souffle arrive par la base du tuyau en forme de cône renversé. Le son est émis par un biseau qui brise le souffle d'air, comme dans le labium d'un pipeau. C'est un sifflet, tout simplement. Le son se développe dans la colonne d'air du tube. C'est donc la hauteur de celui-ci qui détermine l'ampleur de l'onde sonore et, par suite, la "hauteur tonale", inversement proportionnelle à celle du tuyau. Plus un tuyau est grand, plus l'onde est ample et plus le son est grave.
  • Le second principe d'émission sonore est celui de l'anche battante. Dans ce cas, l'air met en vibration une languette métallique dans une goulote, comme l'anche de roseau d'une clarinette vibre sur le bec. À ceci près, toutefois, que dans le cas de la clarinette il s'agit ici d'une "anche douce", dont le son dépend de la résonance du corps de l'instrument. Pour ce qui concerne l'anche d'orgue, il s'agit d'une "anche forte" : la hauteur du son, cette fois-ci, dépend du réglage de l'appareil languette + goulote, mais non plus de la grandeur du tuyau.
 
Les jeux de fond à bouche

Cette famille regroupe la majorité des sonorité de l'orgue.

Les jeux d'anches

Minoritaires dans l'orgue de Saint-Thibaut, ils jouent cependant un rôle déterminant dans la coloration globale de l'instrument.

Clavier de Grand-Orgue, petit inventaire raisonné

Jeux de fond à bouche

Il existe pour chaque esthétique (quasi pour chaque instrument) une hiérarchie des jeux.

La base est ainsi soit une Flûte, soit un Principal. Ce qui les différencie, c'est la largeur de leur section, plus large pour les Flûtes, plus étroite pour les Principaux, et parfois également la conformation de leur bouche : plus étroite pour les Flûtes que pour les Principaux. Les Principaux, en outre, sont toujours "ouverts", tandis que les tuyaux des Flûtes peuvent être "bouchés" (notamment les Bourdons).

Dans l'orgue de Saint-Thibaut, la base est un Principal 8'. Cela se lit : "Principal de huit pieds", ce qui signifie que le tuyau du Do le plus grave mesure 8 pieds de haut, soit 2,60 m (8 x 0,324 m). Les notes jouent ce qui est écrit sur la partition dans le même ton que le piano (ouf !). Le nom de "principal" donné à ce jeu signifie simplement que c'est la base harmonique de l'instrument. Il pose donc le principe sur lequel tout l'édifice sonore est bâti.

Il se trouve ici (comme dans bien des orgues) que les tuyaux de ce jeu sont présentés en façade. Aussi sont-ils dits "de montre", puisqu'ils sont montrés. Cela influe également sur leur sonorité, mise en avant du reste de l'instrument. Aussi n'est-il pas rare que ce Principal 8' soit indiqué Montre 8'.

Mais un jeu de Principal n'est pas forcément une Montre. C'est le cas, précisément, du Principal 4', qui, lui, est placé à l'intérieur du buffet, directement fiché sur le sommier.

Le choix d'un Principal comme fondement de l'orgue entraîne une esthétique ferme et bien assise. Une Flûte ou un Bourdon délivrent un son plus doux. C'est le choix pris, à Saint-Thibaut, pour le Positif, puisque celui-ci a pour vocation d'introduire un plan sonore quelque peu "en retrait".

À partir de ce Principal 8', Daniel Kern a construit une architecture "classique", qui décline les harmoniques de ce jeu.
H2 : octave aiguë, appelée Principal 4', jouant une octave plus haut que le Principal 8' sur la même note.
H3 : quinte, ici nommée Quint 2'2/3. Ne s'emploie pas seule, mais sur une base de 8'.
H4 : quarte de nasard ou double octave, jouant donc deux octaves au-dessus du Principal 8'. Ici nommée Octave 2'.
H5 : tierce. Ce jeu est absent de ce clavier inspiré de l'esthétique saxonne. Cette sonorité, en revanche, est caractéristique des orgues français.

L'édifice est complété dans le grave par un jeu de seize pieds, le Quintaton 16', qui chante une octave plus bas que le principal 8'. Son nom indique que son émission favorise l'harmonique de quinte. C'est un bon substrat, qui donne toute sa dimension, quand il soutient un édifice montant dans les aigus. Mais il peut tout aussi bien être joué en soliste.

Les jeux de quinte et de tierce sont des "mutations", puisqu'ils particularisent un harmonique et colorent ainsi la palette sonore.
Dans le même ordre d'idées, notre orgue comporte une jeu appelé "Mixtur IV". Il regroupe un étagement de mutations, volontairement brillant. Il viendra fortement colorer les jeux de fond, pour donner à l'orgue une sonorité éclatante, très caractéristique.

Avons-nous tout dit de ce clavier de Grand-Orgue ?

Non, car il reste des jeux "adventices", qui ne sont pas des Principaux. La Viole de gambe 8', comme son nom l'indique, imite le coup d'archet de l'instrument à cordes et est donc riche en transitoires. Jeu soliste, chantant, particulièrement approprié pour des mouvements lents, il s'adjoint aussi parfaitement à une Flûte ou à un Bourdon, en leur apportant clarté et épaisseur dans leur rôle d'accompagnement.

La Flûte à cheminée, dénommée ici Rohrflöte 8', sert de jeu doux pour l'accompagnement manuel, mais aussi comme base harmonique à la quinte, par exemple.

Un registre spécial est nommé "Cornet V". C'est un jeu de mutation composée, puisque à une seule note il fait correspondre les cinq rangs harmoniques (d'où le chiffre romain V) suivants : le ton, l'octave, la quinte, la quarte de quinte (double octave) et la tierce. Il émet donc une sonorité à la fois puissante et colorée. Mais il est essentiellement réservé à un usage soliste dans le dessus. Il ne descend pas, en effet, dans le grave plus bas que le Do3. C'est un jeu autonome.

Jeux d'anches

Au manuel du Grand-Orgue, il reste encore deux jeux : la Trompette (dite Trompete 8') et la Dulziane 16'. Il s'agit là de jeux fonctionnant selon le second principe d'émission sonore, l'anche battante.

La Trompete 8' imite le son clair et éclatant de la trompette, mais devrait plutôt être appelée "clarine". C'est un jeu soliste, qui donne également de l'éclat à l'édifice des fonds.

L'anche de la Dulziane 16' (ou Douçaine, en français) vibre avec davantage de débattement. Cela permet de colorer les sons déjà riches des basses de ce jeu grave de seize pieds.

Clavier de Positif, douceur et singularité

Sur le second clavier, on rencontre également une majorité de jeux à bouche et un seul jeu d'anches, le Krummhorn 8'. Cependant, par contraste, l'architecture de cet ensemble s'appuie sur un Bourdon 8' et non sur un Principal. Tout ceci sera donc plus doux.

Les jeux à bouche

Les harmoniques s'étagent ainsi :

H2 : Spitzflöte 4', qui est une flûte conique
H3 : Nasard 2'2/3, qui est une mutation de quinte sur jeu de flûte
H4 : Flöte 2', flûte aiguë
H5 : Terz. La particularité de cette Tierce, c'est qu'elle est principalisante. En fait, elle vient de la Sesquialtera II à l'allemande, jeu de mutation double (comportant Petite Quinte et Tierce) demandé au départ par Éric Brottier, dont nous avons fait boucher les tuyaux de Quinte et réharmoniser ceux de Tierce (lire Un orgue bien tempéré).

Comme ce clavier est dédié à des voix solistes, s'y rencontrent des jeux plus particularisés encore : une Quint 1'1/3 (petite quinte), ainsi que la Viole de gambe 8'.

Le jeu d'anches

Le fameux Krummhorn 8', qui se somme ailleurs Cromorne ou Cor de chamois : légèrement "chevrotant", il a pour rôle premier d'imiter la voix humaine, un peu à la manière d'un cornet à bouquin ou de la "Voix humaine" ou Vox humana.

Accouplement, tirasses et Tremulant

S'il y a deux claviers, c'est pour qu'ils se différencient et dialoguent. Ils peuvent également se compléter. C'est la raison d'être de l'Accouplement II/I, qui lie le clavier de Positif à celui du Grand-Orgue, et des Tirasses POS/PED et GO/PED, qui font respectivement jouer les claviers de Positif et de Grand-Orgue sur le pédalier.

Les deux claviers peuvent, en outre, être soumis au Tremblant, ici dénommé Tremulant (cuiller de pied à droite). Celui-ci introduit une ondulation dans la distribution de l'air et agit comme un tremolo sur l'ensemble de l'instrument. Encore une façon d'évoquer la voix humaine, réservée au cantabile de mouvements lents.

La Pédale

Il s'agit non seulement d'un clavier particulier, mais aussi d'un orgue à part entière destiné à être joué avec les pieds. L'expression "jouer comme ses pieds" reflète peut-être l'opinion qu'ont certains pianistes du jeu des organistes… Toujours est-il que le pédalier est une des singularités les plus marquantes de l'orgue. Il actionne d'une part des jeux propres au sommier de Pédale, d'autre part ceux des claviers manuels au moyen des tirasses. Dans ce cas, il s'agit d'ajouer une note supplémentaire, voire deux, à celles des mains. Tandis qu'en tirant les registres spécifiques à la Pédale, il est possible à l'organiste d'apporter à son édifice un plan sonore particularisé dans le grave, et dans l'espace.

La Pédale de l'orgue construit par Daniel Kern comprend des jeux de fond et des jeux d'anches.

Les jeux de fond, situés à droite de la console, sont du plus grave au plus aigu :

Subbass 16' (soubasse); c'est un Bourdon, qui permet de jouer une basse au 16' sans que ce jeux "charge" les autres voix.
Principal-Bass 8' (Principal de Pédale)
Flöte-Bass 4', destiné à faire ressortir un choral à la Pédale (en Taille), par exemple.

Les jeux d'anches, implantés à gauche de la console, reprennent la structure rencontrée au Grand-Orgue :

Posaune 16' (Trombone). Très puissant et chargé d'harmoniques, ce jeu donne une assise magnifique à l'ensemble des registres. Il peut également chanter une voix soliste puissante.
Trompete-Bass 8' (Tompette de Pédale), qui, elle aussi, peut tout autant jouer un rôle soliste qu'entrer dans une construction fournie.

© Patrice Launay