L'église St-Thibaut et les fidèles bâtisseurs

Un mot sur l'église Saint-Thibaut
Je ne peux pas parler de l’orgue de Saint-Thibaut sans faire un petit (tout petit) tour dans cette église “moderne”. Le plan de l'édifice, construit grâce à la volonté et à l'engagement des habitants du plateau alpico-marlychois, ne reprend pas le plan classique de la croix. Pourtant ce symbole fort y est présent : ce sont les verrières de la flèche, haute de 35 m, qui forment une croix de lumière, dont la croisée est au centre de l'autel. Aussi, celui-ci est placé juste à l'aplomb de la croix qui, à l'extérieur, termine cette flèche, et il est paré en son centre d'une croix de bronze, œuvre de l'artiste Muriel Rosset.

La nef est constituée d'un seul vaisseau sans pilier, reposant sur des voiles minces en béton décalés les uns par rapport aux autres, qui permettent ainsi de loger entre eux des verrières tournées vers l'autel.
Au-dessus du narthex, une tribune de quelque 300 places est adossée à un très beau vitrail, large comme la nef. La toiture suspendue, en bois, forme une hyperbole paraboloïde et est parcourue sur toute sa longueur par une verrière qui figure l'axe vertical de la croix de lumière.


Église St-Thibaut, avant rénovation, vue de la nef.


En 1999, la tempête dévastatrice du mois de décembre avait endommagé la toiture provisoirement recouverte de shingle… depuis 1964. La réparation des dégâts donna lieu à une grande campagne pour parachever les plans de l'architecte : une toiture en cuivre a été réalisée et le chœur a été rénové. Le sol de l'église, qui pendant près de quarante ans est resté en béton brut, a reçu un revêtement thermiquement isolant mais acoustiquement réfléchissant. Une belle réussite, encore une fois à mettre à l'actif des habitants eux-mêmes et de l'association des Amis de Saint-Thibaut.

L'orgue arrive dans cet écrin dont l'acoustique peu réverbérante est toutefois chaude et valorisante… pour peu qu'on ne soit pas placé dans l'une des chapelles qui derrière le chœur forment comme des oreilles mais sûrement pas des porte-voix.

   L'église Saint-Thibaut rénovée accueille son nouvel orgue, le 2 mai 2008.

Treize années de travail et d'opiniâtreté

Les bâtisseurs (et leurs continuateurs) ont dit: « Poursuivons la construction de notre église. Dotons-la d’un orgue digne de son architecture. » Et hop ! ils constituent une association des Amis des orgues (présent et à venir) en 1995 et s’engagent dans un projet fou : faire construire un orgue neuf dans un édifice privé en l'an 2000 après Jésus-Christ. Mais, bon, ils sont fous… Je passe sur toute une liste d’interrogations, de démarches, de vicissitudes et autres embûches. En 1999, ils ont ficelé le projet suivant, un orgue reprenant l’esthétique sonore des Silbermann (André et Gottfried) tout en innovant.

Petit aparté sur le choix de l’esthétique sonore
Dans la région des Yvelines et de l’ouest de l’Ile-de-France, il existe un grand nombre d’orgues romantiques Cavaillé-Coll ou d’inspiration (XIXe siècle), il y a aussi pas mal d’instruments néo-classiques (deuxième moitié du XXe siècle). On connaît, en outre, le merveilleux Clicquot de la chapelle du château de Versailles et celui de l'autre Cliquot à Houdan, mais d’orgue correspondant à l’esthétique de l’âge d’or du XVIIIe siècle en Saxe, point. Et pourtant, qui ne vénère pas Jean-Sébastien Bach ?

Un projet original

Voici le projet qui servit à convaincre les instances publiques à soutenir et à financer pour partie la réalisation d’un orgue neuf dans l’église Saint-Thibaut.

En vert, les jeux à bouche ; en rouge, les mutations simples ; en bleu, les mutations composées ; en orangé, les jeux d'anches.


Cet instrument, de taille moyenne, comporte 23 jeux répartis sur 3 claviers manuels et un pédalier. Il devait également posséder tous les échanges possibles entre claviers et avec le pédalier. Le but avoué était, dans le respect de l'esthétique sonore des orgues alsaciens et saxons des Silbermann, d'offrir un large éventail de combinaisons. Le Positif placé dans une boîte expressive, loin d'être une incongruité par rapport au XVIIIe siècle (rappelons, en effet, que c'est Gottfried Silbermann qui l'a introduite dans la facture allemande), ouvrait des perspectives d'interprétation de la musique du XIXe siècle, même si l'esthétique générale n'était nullement romantique.
Ce projet avait l'ambition de répondre à la fois aux besoins de la musique liturgique, accompagnement d'une assemblée ou d'un chœur mais aussi jeu soliste et improvisation, et au souci pédagogique d'une classe d'orgue à venir. L'interprétation du grand répertoire, bien entendu, n'était pas oubliée, puisque le projet artistique et culturel accompagnant cet orgue met l'accent sur des concerts de chœurs et chorales, ainsi que sur la promotion des jeunes talents.
Beaucoup d'exigence, donc, dans la démarche de l'AOST. Beaucoup de sérieux également. Ce projet reçu l'aval de personnalités du monde de l'orgue, telles que Marie-Claire Alain, Susan Landale, François-Henri Houbard ou encore Jean-Pierre Millioud.

Mais ce n'est pas lui qui verra le jour…

Ce projet élaboré par les Amis des Orgues de Saint-Thibaut (AOST) fut retenu par la Commission nationale des orgues non classés et défendu par le conseil général des Yvelines ainsi que par les municipalités du Pecq et de Marly-le-Roi. Le budget global fut estimé à quelque 400 000 €. Le financement est assuré grosso modo pour un quart par l’État, un quart par la Région Île-de-France, un sixième par le département des Yvelines, un dixième par l’Association diocésaine de Versailles, propriétaire de l’église et destinataire de l’instrument, 3% par les communes, 7,5% par des fonds parlementaires débloqués par les députés du secteur (Marly et Le Pecq ne se situent pas dans la même circonscription). Les 11% restants sont pourvus par les fonds récoltés pas l’association elle-même.

Mais tout ce beau montage était suspendu à la signature du ministre de la Culture. Cela, comme aurait dit Fernand Reynaud, a mis « un certain temps ». M. Donnedieu de Vabres signa toute fin 2004 la convention qui devait tout débloquer.

Un appel d’offres fut lancé en 2005 dans le Bulletin officiel des marchés publics en direction des facteurs d’orgues européens, et un technicien conseil agréé par le ministère choisi pour défendre le projet et assurer le bon déroulement des opérations jusqu’à la réception de l’orgue. Il s'agit d'Éric Brottier, organiste et carillonneur de renom.
Les facteurs intéressés furent tenus au courant des aspirations et exigences inhérentes au projet de ce nouvel orgue. Sur les quatorze candidatures reçues, la commission d’examen en retint d’abord huit, susceptibles de correspondre au plus près au projet de l’association. Parmi les propositions affinées par les facteurs d’orgues pressentis, quatre furent retenues pour aboutir à un devis accompagné de plans détaillés, qui devait être défendu le 12 janvier 2006 devant la commission de sélection. Après la prestation de chacun des impétrants, la commission choisit à l’unanimité le projet de la Manufacture d’orgues Kern de Strasbourg (67). Après quoi il fallut soumettre ce choix à l’agrément ministériel.

Voir la composition définitive de l’orgue Kern de Saint-Thibaut au Pecq.

© Patrice Launay